Journal de Lara Mackenzie

Journal de Lara Mackenzie, vendredi le 15 février1922.

Aujourd’hui, bien qu’épuisée, encore tremblante voire même en équilibre précaire sur le fil ténu qui sépare le normal de la folie, je me dois de mettre en mots ces derniers jours afin de ne pas sombrer dans de profonds abysses de désespoir.

Jusqu’à présent la vie représentait pour moi un éternel voyage où je pouvais vivre, rire et m’amuser d’un rien. Certes, les moyens financiers dont dispose ma famille ont permis que je sois instruite et pour une jeune femme totalement libre de penser et d’acter mes désirs. Certes encore, le clan « Mackenzie » bien qu’immigré est le socle sur lequel je m’appuyais pour ressentir force, stabilité et immuabilité tel le chêne d’argent sur fond de gueule qui représente notre blason.

La frivolité mais aussi la raison ont toujours gouverné ma vie. Ces derniers jours ont mis à mal toutes mes croyances.

Tout d’abord, si ma très chère amie féministe Alice Paul pouvait me voir ne pas réussir à m’imposer dans ce groupe (certes complètement improbable et surtout très vieux jeu en ce qui concerne leur représentation de la femme, pfff quel bande d’ignares et d’arriérés !), elle m’encouragerait certainement à les faire taire une bonne fois pour toute !

Que me conseillerait-elle ? La force, un bon coup de pied dans les parties intimes de Graham serait du plus bel effet, je dois dire ! Mais je ne m’abaisserais à cet acte qu’en dernier recours !

Mon charme naturel peut, je crois, faire en sorte qu’Helmutt revienne à plus d’humanité et de galanterie, il me semble que sous son aspect fripé se cache en fait un cœur en guimauve. (NB : penser à l’emmener faire les soldes à la Samaritaine).

Reste Stanley, qui de très bonne famille et éducation anglaise reste digne de mon respect bien qu’il me fasse un peu peur lorsqu’il se met à courir et hurler comme une hystérique !

Mais tous ces combats féministes qui jusqu’à présent faisaient mon quotidien me semblent maintenant puérils et vains.

Après avoir ressenti dans mes cauchemars cette présence démoniaque et pour avoir regardé droit dans les yeux cette chose innommable, je ne suis plus sûre de rien ! Je perds pieds, je pleure et tremble toutes les nuits, je me sens fragile, inutile et faible. Même mon cher whisky des Highlands le Glencadam ne parvient pas à me sortir de mon angoisse !

Une chose est certaine : jamais au grand jamais je ne pourrais maintenant enfanter ! Les images du culte de la fécondité de la déesse et de la Bête m’en ont dégoûtée à jamais.

Quoiqu’il en soit, il me faut retrouver mon assurance et ma force !

Peut-être qu’en m’achetant un plus gros calibre et en perfectionnant ma boxe française, reprendrais-je goût à la vie ?

Je vais déjà téléphoner à Helmutt pour le rhabiller, cela mettra du baume dans ma tête et mon cœur.

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